Interview Jean Jouzel

Jean Jouzel : « il y a urgence à inverser notre mode de développement »

 

Du 29 au 31 mars, un grand forum-laboratoire mettra en ébullition le développement durable pour trouver des solutions pour rendre demain plus vert, plus respirable, plus solidaire aussi. Rencontre avec le climatologue Jean Jouzel.

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Le rendez-vous du Monde nouveau à Perpignan plaide pour une planète bleue plus verte. N’est-ce pas déjà trop tard ?

Cela fait trente ans que l’on répète les mêmes choses. A l’époque, les scientifiques envisageaient déjà que si les émissions se poursuivaient au même rythme, sans mesure prise, nous irions vers une augmentation de 3 degrés au milieu du XXIe siècle. Malheureusement, nous sommes toujours sur cette trajectoire. Il n’est certainement pas trop tard pour lutter contre le réchauffement climatique, et ce de manière très volontariste. Mais il y a urgence à complètement inverser notre mode de développement, surtout si l’on veut respecter les accords de Paris et atteindre la neutralité carbone en 2050.

 

En 2018, nous avons vécu l’été le plus chaud en France depuis 150 ans. Est-ce le signe d’un réchauffement climatique irréversible ?

Ce qui est important lorsqu’on parle de réchauffement climatique, c’est les températures moyennes de la planète. L’organisation météorologique mondiale a confirmé que les quatre dernières années ont été les plus chaudes depuis 150 ans. Si 2018 est le deuxième été le plus chaud que la France ait connu, cela fait plusieurs décennies que les activités humaines ont pris le pas sur les causes naturelles de variation du climat.

Le sud de la France, notamment le pourtour méditerranéen, est-il plus exposé au bouleversement climatique ?

Les régions méditerranéennes subissent de nombreux aléas climatiques comme la sécheresse qui entraînent des incendies fatidiques pour les forêts ou les épisodes orageux éclairs, comme celui qui s’est produit en octobre dans l’Aude, à l’origine de nombreux ravages humains et matériels. A terme, l’élévation du niveau de la mer aura des conséquences sur le littoral méditerranéen avec des déplacements de population.

Dans votre dernier livre intitulé « Pour éviter le chaos climatique et financier », vous dites que nous avons trois ans pour inverser la tendance. Est-ce vraiment possible et commet s’y prendre ?

Le fil rouge du livre que j’ai écrit avec Pierre Larrouturou, c’est effectivement qu’il faut inverser la tendance. L’Europe peut jouer un rôle important à condition qu’il y ait des investissements importants. On parle de mille milliards d’euros chaque année. Il existe déjà des investissements pour lutter contre le réchauffement climatique ou pour s’y adapter dans les transports, la mobilité, l’urbanisme et le bâtiment, dans le développement des énergies nouvelles ou l’agriculture. Il faut augmenter ces dotations de façon importante. Pour un pays comme la France, il faudrait consacrer 2% de plus du PIB à la lutte contre le réchauffement climatique, et plus généralement à la transition écologique. Nous proposons la création d’une banque européenne pour le climat et la création d’un budget pour le climat.

 

C’est votre Pacte européen pour sauver le climat…

Oui, c’est le Pacte Finance Climat européen. On se place à l’échelle européenne car il faut un véritable projet pour l’Europe. Aujourd’hui, il n’en existe pas. Quand on regarde les sujets abordés par les politiques pour les élections européennes qui approchent, il n’y a que des projets assez négatifs comme limiter le nombre de migrants. Il n’y a pas aucune dynamique, aucun effort européen vis-à-vis de la lutte contre le réchauffement climatique.

Les enjeux économiques sont-ils un frein ou, au contraire, une chance pour « verdir » la planète ?

C’est plutôt une chance car les secteurs climatique, énergétique et écologique sont porteurs d’avenir. En France, on parle de 600 000 à 900 000 emplois d’ici 2050 et de 6 millions d’emplois nets au niveau de l’Europe. Cette transformation énergétique qui est indispensable serait source de dynamisme économique plutôt que le contraire. Ce sont les pays qui s’y mettront les premiers qui seront les vainqueurs. Il ne faut pas attendre de la Chine ou des Etats-Unis qu’ils fassent cet effort. L’Europe doit en prendre le leadership, à condition que cela est décidé dans le cadre d’un véritable projet.

Jean Jouzel, de glace et de feu

 

Climatologue et glaciologue français, Jean Jouzel a consacré l’essentiel de sa carrière scientifique à la reconstitution des climats du passé à partir de l’étude des glaces de l’Antarctique et du Groenland.

Il a participé au titre d’auteur principal aux deuxième et troisième rapports du GIEC (co-lauréat du Prix Nobel de la Paix en 2007).

Membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE) depuis 2011, il est auteur de plus de 400 publications dont environ 300 dans des revues internationales à comité de lecture.

Médaille d’or du CNRS en 2002, il a reçu en 2012, prix de la Fondation Albert II de Monaco et le Prix Vetlesen, considéré comme le « Nobel des Sciences de la Terre et de l’Univers ».

En décembre 2017, il a lancé une campagne visant à soutenir un traité européen destiné à trouver des financements pérennes de la transition énergétique, afin de lutter contre le réchauffement climatique. Il est à l’origine du collectif Pacte Finance Climat. L’été dernier, il a cosigné avec Pierre Larrouturou le livre Pour éviter le chaos climatique et financier.

Membre du comité d’honneur du Monde Nouveau qui se déroulera à Perpignan du 29 au 31 mars, il a accepté de répondre à nos questions. Il répond cash sur les risques que la planète court et l’espoir encore possible.

En 2015, la France s’est assignée des objectifs ambitieux pour diminuer les gaz à effet de serre, mais ne semble pas pouvoir les tenir. Pourquoi selon vous ?

La réalité, c’est que la France est en retard sur la feuille de route qu’elle s’est assignée lors de la COP 2015 à Paris. Dans la programmation pluriannuelle de l’énergie, il apparaît que nous aurons du retard au moins jusqu’à 2023. On parle d’accélérer entre 2023 et 2028, mais il ne faut pas que cela se transforme en vœu pieux. Je crois que l’une des raisons est l’absence d’investissement financier. Il n’y a pas une véritable priorité à la lutte contre le réchauffement climatique. Cela passe pour la France par un investissement de 45 milliards d’euros chaque année. Si ces investissements ne sont pas là, par exemple, pour la restauration des bâtiments anciens, pour la mobilité électrique, pour le développement de la filière hydrogène, pour les transports lourds comme les trains, les camions… le retard va s’accumuler. Mais il ne faut pas seulement accuser notre Etat. C’est aussi à chacun d’entre nous d’agir. Les entreprises comme les collectivités peuvent aussi jouer un rôle.

 

Comment convaincre les climato-sceptiques ?

Certaines sont climato-sceptiques par ignorance d’autres prétendent que les arguments de la communauté scientifiques sont erronés. Il faut discuter et montrer que le réchauffement climatique est bien une réalité. Nous augmentons le chauffage de la planète en permanence, et cela va continuer. Depuis deux 200 ans, la quantité d’énergie disponible pour maintenir l’équilibre thermique de l’atmosphère, de l’océan, des glaces et des surfaces continentales augmente de 1%. Certains diront que c’est peu mais c’est ce 1% qui est déjà à l’origine du réchauffement que nous vivons. Si on continue à augmenter l’effet de serre et consommer la quantité d’énergie disponible, alors le réchauffement va se poursuivre. C’est inéluctable. Si rien n’est fait pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre de façon rapide, on prend le risque d’avoir une augmentation des températures de 4 degrés d’ici la fin de ce siècle.

Dans la vie de tous les jours, quels sont, pour vous, les trois gestes essentiels qui contribuent à un Monde nouveau, à un monde plus vert ?

C’est d’abord la mobilité, puis le secteur domestique, c’est-à-dire la façon dont on se comporte chez soi, et enfin l’alimentaire. Quand on regarde la façon dont on se déplace, dont on utilise les appareils électriques ou électroniques, dont on mange… c’est largement plus de la moitié des émissions de gaz à effet de serre. Je crois qu’on peut agir, car ce sont des décisions de chaque jour. Individuellement, on peut donc participer à la lutte contre le réchauffement climatique. Ces petits gestes sont importants et doivent être encouragés. Bien sûr, ils ne sont pas suffisants parce que si on doit prendre les transports en commun, encore faut-il qu’ils existent. Nous ne sommes pas tous à égalité sur le territoire. L’action individuelle est importante, mais elle ne peut être efficace que s’il y a une véritable prise de conscience des collectivités de la nécessité de mettre les infrastructures à hauteur de la demande des citoyens. Notamment en terme de mobilité, d’isolation de sa maison, de rénovation des bâtiments anciens, etc. Oui, chacun peut jouer un rôle dans la lutte contre le réchauffement climatique.

 

A ce titre, la région Occitanie possède-t-elle des atouts pour réussir la transition énergétique ?

La région Occitanie est, par son extension géographique, une très grande région. C’est aussi une région privilégiée du côté des énergies renouvelables avec un ensoleillement très important. Le souhait, c’est que cette région s’oriente de plus en plus vers l’autonomie énergétique. Au-delà du solaire, l’Occitanie peut aller de l’avant avec l’éolien et dans l’utilisation de la biomasse. Tout ce qui se réalise aujourd’hui décidera du climat de la seconde moitié du siècle. En Occitanie comme ailleurs, ce sont les générations futures qui seront concernées. Il faut donc se mobiliser maintenant.

PROPOS RECUEILLIS PAR PHP