Interview Erik Orsenna

Erik Orsenna : « inventer un autre monde »

L’écrivain et membre de l’Académie française donne sa vision du Monde Nouveau.

Comment rompre avec l’ère du “fabriquer, consommer, jeter” ?

Chaque année, en Europe, consommateurs et acteurs économiques produisent à hauteur de 2,5 milliards de tonnes de déchets. Qu’en faire ? Il faut prendre exemple sur la vie. La vie, c’est une start-up de 4,5 milliards d’années et dans la vie, il n’y a aucun déchet. Tout est recyclé. Imiter la vie me paraît être la bonne solution, d’autant que nous arriverons rapidement à une raréfaction des ressources. Rien ne s’y perd, rien ne s’y crée, tout s’y transforme. Le biomimétisme est cette discipline nouvelle qui recherche dans la nature des réponses à nos questions et des modèles pour nos actions.

En faisant du verre, qui peut être recyclé indéfiniment, avec du bio-verre plutôt que du sable, on économise 60 % d’énergie. Si l’on fabrique du papier avec du papier, on épargne les forêts qui capturent le gaz carbonique. Imaginez que chaque seconde, un fleuve asiatique déverse dans l’Océan pacifique 50 kg de plastique. C’est dramatique. Leur recyclage permettrait d’économiser le pétrole correspondant à de nouvelles fabrications en même temps qu’on débarrasserait la planète de déchets parmi les plus agressifs et les plus résistants.

Les déchets sont-ils la matière première du XXIe siècle ?

Au cours de 21 voyages aux pays de la nouvelle ressource, j’ai exploré les coulisses du recyclage, de l’économie circulaire. À Tarbes, j’ai vu des avions découpés en tranches et dont on reprenait les moteurs pour les recycler. Ailleurs, j’ai vu des installations qui recyclaient du plastique pour créer de nouveaux produits. Partout, je pensais trouver des déchets, des poubelles, et en réalité je voyais autant de ressources. Ce que j’ai appris, c’est une évidence : dans la nature, il n’y a pas de poubelles. C’est ce qu’on doit imiter.

D’où les enjeux de l’économie circulaire ?

Oui. C’est absolument nécessaire car cela bouleverse les modèles du produire-jeter. Les poubelles ne sont plus les scories, honteuses, de nos existences, mais des gisements qu’il faut valoriser. C’est un gros travail de plusieurs années mais il est essentiel à la préservation de notre planète.

Comment selon vous l’espèce humaine doit-elle affronter les transitions climatiques, biologique et numérique ?

Dans l’histoire, nous n’avons jamais eu autant de transitions à gérer en même temps et de façon accélérée. Il nous faut maintenant inventer un autre monde. La crise des “gilets jaunes” a montré qu’il fallait faire en sorte qu’il soit acceptable pour tout le monde, et donc égalitaire car, on le constate, la transition énergétique est souvent payée par les plus pauvres. Le monde nouveau est un monde qui ne pèse pas sur les ressources, un monde qui prend soin, plus respectueux, qui n’est pas le tout, tout de suite, qui corrige les inégalités, qui préserve la biodiversité.

 

Vous avez le sentiment qu’on en prend le chemin vers ce monde nouveau.

Non. Avec la COP 21, nous avons eu l’espoir d’une véritable prise en compte des enjeux de la préservation de la planète. Mais nous voyons que cela ne marche pas. C’est la raison pour laquelle des rencontres comme celle qui va se dérouler à Perpignan sont nécessaires. Il n’est pas possible de tout demander à l’État. Chacun, à son niveau, doit aussi être acteur des transformations pour que naisse ce monde nouveau. La prise de conscience ne suffit pas. Nous savons que nous sommes entrés dans une nouvelle phase dans laquelle l’activité humaine a, par exemple, un impact fort sur le climat. Maintenant, il faut croire à ce que l’on sait. Or, ce n’est pas toujours le cas. Les gens ne croient pas toujours à ce qu’ils savent. Ils savent, par exemple, qu’ils vont mourir, mais ils n’en tirent pas toujours les conséquences en n’aimant pas suffisamment les gens qu’ils aiment. Il faut donc passer de la prise de conscience, nécessaire mais insuffisante, à la croyance.

Et à l’action ?

Oui, c’est la raison pour laquelle participer à l’événement à Perpignan est important. Car de mes voyages je tire la conviction que seule une stratégie de responsabilité, générale et déterminée, permettra d’accélérer l’émergence de ce monde nouveau.

RECUEILLI PAR SERGE BARDY